lundi 9 janvier 2012

Apocephalus borealis

Une mouche parasite mise en cause dans la mortalité brutale des abeilles.

Des chercheurs américains ont montré comment des mouches transformaient les insectes pollinisateurs en "zombies"D.R.
La bataille des abeilles n'en finit pas. Dans le Tarn-et-Garonne, à Monbéqui, une centaine d'apiculteurs ont occupé pendant plusieurs heures, vendredi 6 janvier, un site de la firme américaine d'agrochimie Monsanto. Ils demandaient au gouvernement français d'interdire de nouveau rapidement le maïs OGM - susceptible de "polluer" le miel -, après l'annulation par le Conseil d'Etat de la clause de sauvegarde prise contre le MON 810.

Aux Etats-Unis, des chercheurs s'inquiètent d'une autre menace pour l'abeille, qui n'en manquait déjà pas, entre pesticides, antibiotiques, virus, champignons et autres prédateurs. Leur étude, publiée le 3 janvier dans la revue en ligne PLoS ONE, met au jour l'effet dévastateur d'un ennemi supplémentaire : Apocephalus borealis, une petite mouche de la famille des phorides, jusqu'ici connue comme un parasite des bourdons et de certaines guêpes.
L'équipe d'une dizaine de scientifiques, réunis autour d'Andrew Core (département de biologie de l'Université d'Etat de San Franciso), s'est concentrée sur le désormais fameux syndrome d'effondrement des colonies (colony collapse disorder en anglais). Cet étrange phénomène observé un peu partout dans le monde, mais surtout en Amérique du Nord, depuis 2006, se traduit par la brusque disparition des abeilles. Celles-ci quittent leurs ruches en nombre - sans que l'on sache pourquoi jusqu'à présent - et meurent à l'extérieur. Dans leur étude, les chercheurs pointent la responsabilité d'Apocephalus borealis dans ce comportement fatal.

SUR L'ABDOMEN DE L'ABEILLE
Cette mouche parasite se pose sur l'abdomen de l'abeille pour y déposer ses oeufs en deux à quatre secondes. Jusqu'à treize larves peuvent émerger du thorax du cadavre, sept jours plus tard en moyenne. Une fois infectées, les abeilles quittent leur colonie la nuit, contrairement à leur habitude. Les entomologistes ont observé qu'elles étaient alors désorientées. "Elles ne peuvent pas tenir sur leurs pattes, qu'elles ne cessent détendre pour les dégourdir avant de tomber, agissant comme des zombies", décrit M. Core.
Comment Apocephalus borealis a-t-elle pu échapper jusqu'ici à la vigilance des scientifiques, alors que l'abeille domestique est l'un des insectes les plus étudiés d'Amérique du Nord, compte tenu de son importance pour l'agriculture ? Peut-être parce qu'il s'agit d'un phénomène émergent. Les attaques de la phoride ont, pour l'heure, été observées en Californie et dans le sud du Dakota, mais elles pourraient s'étendre rapidement, vu le nombre d'Etats que traversent les ruches commerciales destinées à la pollinisation des cultures.
La situation est inquiétante. Les chercheurs rapportent des cas d'abeilles s'agglomérant en grand nombre autour de sources de lumière. Ils ont étudié 7 417 abeilles domestiques et 195 bourdons prélevés sur 31 sites de la baie de San Francisco, dont 24 étaient infectés par Apocephalus borealis. Grâce à des analyses génétiques, ils ont montré que l'espèce de phoride parasite de l'abeille était identique à celle du bourdon. L'étude note aussi que les abeilles malades adoptent un comportement comparable à celui des fourmis de feu d'Amérique du Sud infectées par ce parasite.
Pourquoi le parasite s'en prend-il à de nouveaux hôtes ? Perturbe-t-il le rythme circadien de l'abeille ? Sa sensibilité à la lumière ou d'autres aspects de sa physiologie ? Est-il vecteur d'autres maladies, les abeilles infectées étant souvent porteuses d'un virus qui déforme leurs ailes et d'un champignon microscopique. Leur départ de la ruche correspond-il à une forme de précaution vis-à-vis de leurs congénères ou bien sont-elles éjectées par ces dernières ?
En attendant des études supplémentaires, plusieurs vétérinaires français se montrent rassurants, rappelant que les mouches parasites de l'abeille étaient déjà signalées en Europe il y a un siècle.

Martine Valo
Article paru dans l'édition du 08.01.12. Le Monde


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